En réponse à des questions sur la présence de protestant.e.s à D&J ou sur le protestantisme en général, je propose un éclairage qui donne quelques clés de compréhension tout en étant consciente que ce texte s’inspire également de ma manière de vivre mon protestantisme.
Parfois centrée autour d’un petit monde d’universitaires, l’animation de la vie protestante ne parait pas toujours facile d’accès au néophyte. Chez les protestant.e.s, du moins en ce qui concerne les luthéro-réformés, il n’y a pas de dogme ce qui en constitue presque déjà un ! À la morale, les luthéro-réformés préfèrent l’éthique, aux certitudes les questionnements.
Cela étant dit la Réforme se base tout de même sur cinq « grands principes » qui sont : sola gratia (« par la grâce seule »), sola fide (« seule la foi compte »), sola scriptura (« par l’Écriture seule »), solus Christus (« Jésus Christ seul »), soli Deo gloria (« à Dieu seul la gloire ») auxquels on peut ajouter deux « façons de les vivre » : l’Église doit se réformer sans cesse et le sacerdoce universel c’est-à-dire l’égalité entre tous les membres de l’Église, pasteur.e.s et fidèles.
Le protestantisme c’est alors un engagement exigeant qui demande de passer du temps à lire les textes et à y réfléchir. La grande place que tient la prédication pendant les cultes accompagne cette réflexion. C’est aussi une éthique de responsabilité puisque chacun.e de nous est « en charge ».
Le débat théologique étant par essence inépuisable, c’est un cheminement continu qui conduit à de nouvelles idées, de nouvelles « façons de voir ou de percevoir ». C’est d’ailleurs dans cet esprit que, régulièrement, de grandes « questions » sont soumises à la réflexion de toute la communauté représentée en conseil synodal. Ce fût le cas pour la question de la bénédiction des couples (mariés) de personnes du même sexe qui, après avoir été débattue pendant des années, a fait l’objet d’une prise de décision adoptée lors du synode national de l’Église protestante unie de France (EPUdF), le 17 mai 2015 (cf. également le communiqué de D&J transmis avant cette décision).
Tous ces éléments, parfois mal connus, peuvent contribuer à rendre le protestantisme « difficile d’accès » et semblant réservé à une minorité. Cependant il y a un paradoxe dans cet état de fait qui parait contraire au principe même d’évangélisation. Si les luthéro-réformés paraissent parfois moins enclins à « évangéliser » que d’autres courants, cependant chaque chrétien.ne ayant reçu la parole des évangiles en son cœur ressent certainement l’envie de la faire partager.
Alors peut-on être protestant.e sans prendre part aux débats théologiques ? À titre personnel je pense que oui. Les protestant.e.s de la société civile sont nombreux qui ne se revendiquent d’aucune Église (cf. l’émission Protestants de France diffusée sur France 5).
Allons même plus loin : peut-on être protestant.e sans être croyant ? Lionel Jospin aurait dit : « Je suis un protestant athée, un rigide qui évolue, un austère qui se marre ». Quant à Michel Rocard, il se considérait agnostique. Au-delà des « petites phrases », les protestant.e.s se disent « laïc.que.s » ce qui signifie qu’il n’existe pas d’institutions ecclésiales faisant autorité d’elle-même, y compris sur la politique (les représentants sont des personnes laïques et sont élu.e.s). Cet attachement au principe de laïcité remonte notamment aux idées de la révolution française puis à la séparation de l’Église et de l’État en 1905. Par conséquent la seule institution humaine faisant « autorité » est celle de l’État. Mais être laïque ne veut pas dire obligatoirement être non croyant.
C’est là la particularité du protestantisme français. S’il est lié intrinsèquement à une démarche théologique chrétienne il n’en est pas moins une identité individuelle qui n’est pas exclusive à la spiritualité. Cette identité se base en partie sur le vécu de nombreuses familles amenées à se cacher pour vivre leur foi et à fuir les persécutions suite à la révocation de l’Édit de Nantes (dit Édit de tolérance) en 1695 et plus largement sur l’histoire de France, mais également l’impact des « grands principes » de la Réforme dans la façon de vivre au quotidien dans ces familles.
Faut-il être issu d’une famille « historique » pour être protestant.e ? Je veux croire que non. Bien des personnes s’intéressant au protestantisme ont une connaissance et une réflexion théologique plus approfondie que beaucoup de descendant.e.s de huguenots.
Le protestantisme peut être cette dualité entre spiritualité et identité culturelle qui tendent à se confondre pour laisser à chacun.e la possibilité de se construire sa propre « éthique de vie » chrétienne.
L’ouvrage La nouvelle France protestante (Sébastien Fath, Jean-Paul Willaime, éd. Labor et Fides, 2011) définit d’ailleurs cinq cercles d’appartenance au protestantisme allant des croyant.e.s et pratiquant.e.s réguliers aux athées se revendiquant de culture protestante en passant par les « sympathisant.e.s ». Toutes les couleurs de l’arc-en-ciel sont donc possibles et existent !
Pour terminer, si l’on me demande ce qui constitue mon identité je répondrais que je suis avant tout un être humain, ensuite chrétienne et seulement ensuite protestante mais également bien d’autres choses !
Stéphanie, responsable du groupe protestant de l’association David & Jonathan
Repères bibliographiques :
a) Général sur le protestantisme :
- ESQUISSE D’UNE SPIRITUALITÉ PROTESTANTE, Louis Schweitzer (éditions du Cerf, 2003)
- HISTOIRE DU PROTESTANTISME, Jean Baubérot (« Que sais-je ? », PUF, 2015)
- LE PROTESTANTISME – LA FOI INSOUMISE, Laurent Gagnebin, Raphaël Picon, (Flammarion, 2009)
- UN CATÉCHISME PROTESTANT, Antoine Nouis (Olivétan, 2010)
- LES GRANDS PRINCIPES DU PROTESTANTISME, André Gounelle (Olivétan, 2011)
- LA NOUVELLE FRANCE PROTESTANTE Sébastien Fath, Jean-Paul Willaime (Labor et Fides, 2011)
b) Sur les thèmes : « homosexualité » et « inclusivité » :
- L’HOMOSEXUALITÉ DANS LE PROCHE-ORIENT ANCIEN ET LA BIBLE, Thomas Römer, Loyse Bonjour (Labor et Fides, 2016) → L’édition 2005 peut être consultée sur internet
- BÉNIR LES COUPLES HOMOSEXUELS ? LES ENJEUX DU DÉBAT ENTRE PROTESTANTS, Elian Cuvillier, Charles Nicolas (Olivétan, 2015)
- L’ACCUEIL RADICAL – RESSOURCES POUR UNE EGLISE INCLUSIVE, Yvan Bourquin, Pierre Bühler, Joan Charras Sancho, Elian Cuvillier, Jürgen Grauling, Jean-Blaise Kenmogne, Stéphane Lavignotte, Muriel Schmid, Jean Vilbas, Marina Zuccon (Labor et Fides, 2015)